Très tôt le doute s'est insinué dans la tête du jeune typo-pianiste! A-t-il choisi le bon instrument ?
        Est-il compositeur-typographe ou imprimeur-typographe ?

        J'avoue être alternativement l'un et l'autre dans une simultanéité totale,
pense-t-il,... en levant la lettre, une à une... un mot... encore une lettre... puis une autre...

Et dans ce brouhaha où s'entrechoquent et se bousculent les lettres et les mots naissant,
les morts-nés, les appelés, les forcés-bien-huilés-qui-ne-disent-rien, les ceux-qui-font-savant
et les inutiles-comme-un-meuble-encombrant...
un éclair soudain illumine le mot dans l'ombre qui embrase alors toutes ces lettres de plomb.

        Au-delà des règles et des conventions typographiques, tout un univers s'oppose et s'impose à lui. Il a compris tout à coup que la création est toujours un acte de confiance et d'abandon envers ce qui l'appelle. Elle exige l'oubli de soi et comporte toujours en elle-même une certaine dose de transgression. Il n'existe ici aucune règle convenue qui ne soit irréversible. L'artiste créateur est un funambule qui, au-delà de l'éblouissement, progresse dans le noir vers ce lieu où
la matière prend sa source – parfois survolé, parfois entrevu, mais toujours à atteindre...

Durant ce processus intime mais bien réel, tout artiste, tout poète, tout créateur, apprend à ses dépends que l'acte de création le met en danger. Il sait désormais qu'il est dangereux
pour lui de se pencher... et de tenter d'anticiper sur le résultat...

La chute du funambule est toujours douloureuse !...
E pericoloso sporgersi...